Les lieux de l’acte : analyses spatiales et spatiographiques des sources diplomatiques

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  • Quand Du 10/10/2024 au 11/10/2024 (Europe/Brussels / UTC200)
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Le réseau Diplo21 (https://diplo21.hypotheses.org/) organise des rencontres scientifiques visant à offrir un espace de dialogue et de débat indépendant des traditions historiographiques nationales à de jeunes chercheur·ses consacrant leurs travaux à la diplomatique et aux pratiques de l’écrit de l’Europe médiévale. Le premier thème retenu est celui des « Lieux de l’acte ». Il s’agira notamment de montrer que la diplomatique participe au spatial turn pris par les sciences humaines et sociales depuis les années 1970-1980.

    Trois axes de recherche sont proposés. Il s’agira d’abord de s’intéresser aux logiques spatiales de l’élaboration des actes, en s’intéressant à la géographie des chancelleries, bureaux d’écriture ou greffe, mais aussi en analysant les dates de lieu des chartes, et ce qu’elles peuvent révéler des négociations entre les autorités et les bénéficiaires des actes, ainsi qu’en interrogeant l’existence d’un « marché de l’acte » (axe n° 1). L’attention pourra aussi porter sur la manière dont les sources diplomatiques permettent de révéler les perceptions que leurs rédacteurs ou leurs bénéficiaires se faisaient de l’espace, par l’étude des confronts, par celle du vocabulaire spatial, voire territorial, ou encore par celle des éventuelles logiques topographiques guidant en leur sein l’ordre des biens, droits et revenus (axe n° 2). Enfin, les participant·es seront invités à considérer les actes eux-mêmes comme des lieux et à interroger la place des symboles graphiques vis-à-vis du texte, la manière dont celle-ci est rendue ou négligée lors de la copie des actes notamment dans les cartulaires et les moyens actuels à leur disposition pour modéliser l’espace des chartes (axe n° 3).

    1. Spatialiser le processus d’élaboration des actes

      a) Un tel sujet pose d’abord la question, assez classique en diplomatique, des lieux où les actes, chartes et diplômes, publics ou privés, furent élaborés : chancelleries, bureaux d’écriture et greffes. L’intérêt porte alors sur le personnel qui y travaillait, sur l’organisation et le fonctionnement de ces institutions, sur les formulaires qui s’y appliquaient et sur la manière dont ils évoluaient. La question de la rédaction par les bénéficiaires amène à considérer d’autres lieux et, en particulier, les scriptoria des monastères et collégiales. Les participant·es sont invité·es à prendre en considération la géographie de ces lieux d’élaboration des actes, à l’échelle d’un royaume mais aussi à celle bien plus locale. Se pose également la question de la circulation des formules et formulaires entre institutions, d’un lieu d’élaboration de l’acte à un autre. L’analyse des réseaux et les possibilités offertes par les humanités numériques et, en particulier, par les systèmes d’information géographique permettent de renouveler le questionnement.

      b) Les eschatocoles des chartes comportent parfois des « dates de lieu » (Actum Atrebati, Datum apud Pruvinum…). Celles-ci ont souvent été utilisées par les historien·nes pour retracer les itinéraires des rois et des princes, ce qui a permis de mieux comprendre leurs pratiques de gouvernement et d’administration, tant à l’époque carolingienne qu’à la fin du Moyen Âge[1]. La formulation de ces dates de lieu a déjà fait l’objet d’études, qui se sont intéressées à leurs variations, chronologiques et régionales[2]. Les diplomatistes se sont aussi déjà demandé s’il s’agissait de noter le lieu de l’approbation royale ou princière des actions juridiques ou bien le lieu de rédaction ou de remise des documents – ce fut l’objet d’un débat entre Ferdinand Lot et Léon Levillain. Plus récemment, Jean Dufour a émis l’hypothèse d’une différence entre « l’approbation royale donnée à l’acte juridique (actum) et la délivrance de l’acte écrit (datum)[3] ». Les dates de lieu, plus ou moins développées et précises, gardent la mémoire des localités et, à l’intérieur de celles-ci, des bâtiments ou des endroits bien spécifiques dans lesquels les actions juridiques se sont déroulées et ont été mises par écrit ou dans lesquels les chartes ont été données à leurs bénéficiaires. Ces dates de lieux témoignent, dès lors, des logiques spatiales ayant conditionné l’élaboration des chartes et, en particulier, des logiques propres aux bénéficiaires qui choisirent de venir en tel lieu plutôt qu’en tel autre pour solliciter la rédaction des documents ou pour se les faire remettre[4]. Tout en tenant compte de la dimension symbolique du choix de certains lieux, il importe aussi de prendre en compte d’autres raisons, plus prosaïques, dont certaines sont spatiales ou circonstancielles : la fréquence ou la rareté du séjour d’un roi ou d’un prince dans tel lieu, l’origine géographique des bénéficiaires, l’implantation de leur temporel, l’urgence ou non de leur petitio, la nature de l’acte demandé…

      D’autres parties du discours diplomatique (exposé, dispositif, mentions hors teneur…) peuvent par ailleurs contenir des informations sur les lieux dans lesquels les transactions ont été négociées ou conclues, les actes rédigés puis remis à leurs bénéficiaires, au cours on non d’une cérémonie diplomatique. Les chartes-notices offrent même parfois des récits, qui mettent en avant des lieux et renseignent sur le « parcours de l’acte », des premières négociations entre les parties à la remisede la charte.

      c) Certaines transactions sont mises par écrit devant un notaire public ou un tabellion. Le recours à ces professionnels de l’écrit amène à s’interroger sur l’existence d’un « marché de l’acte au Moyen Âge » et à réfléchir à son organisation spatiale : en 1395, par exemple, les habitants de Bar-sur-Aube préférèrent aller à la Ferté-sur-Aube, localité sise à une vingtaine de kilomètres, pour faire rédiger un contrat, parce qu’ils trouvaient que le tabellion de leur ville était trop cher[5]. Là encore, il s’agit de mesurer comment les analyses de réseaux et le traitement des informations par les SIG permettent de renouveler la compréhension de ces « marchés de l’acte », présents et structurés à plusieurs échelles.

        2. Les sources diplomatiques et la (re)construction de l’espace

          a) Dans les actes de la pratique, les scribes et notaires doivent souvent décrire des terres et d’autres biens immobiliers. Il leur faut alors savoir « mesurer les terres[6] » et avoir « le sens des limites[7] ». L’étude des confronts peut ainsi être menée, d’autant qu’elle peut être renouvelée par l’apport des humanités numériques. Le traitement informatisé des confronts a d’ailleurs déjà été abordé par les spécialistes des cadastres urbains médiévaux[8]. En plus de l’étude de ces formules et de leur vocabulaire technique, il s’agit d’appréhender comment les sources diplomatiques participent à la construction de l’espace et témoignent de la perception de celui-ci, de sa mise en ordre, voire même de sa reconstruction en fonction de l’intérêt des autorités ou des bénéficiaires.

          b) L’ordre des biens, droits et revenus dans les privilèges ou chartes récapitulatives et confirmatives du temporel des églises, de même que le classement des actes dans certains cartulaires peuvent répondre à des logiques topographiques (par diocèses, archidiaconés, granges, villes…) et correspondre à un « espace vécu[9] » (itinéraires de perception de cens ou de visites épiscopales…) ou bien à une « géographie mentale[10] » propre à chaque rédacteur, cartulariste ou institution[11].

          c) Enfin, les toponymes cités dans les actes peuvent être utilisés par les chercheur·ses qui veulent spatialiser des phénomènes socio-politiques ou culturels : par exemple, celles et ceux qui étudient l’émergence de « territoires[12] », « espace de projection d’une institution » (Max Weber), ecclésiastique ou laïque ; de même, il a été tenté de mettre en relation les centres de production d’actes et les édifices dits « romans[13] ». Les participant·es pourront à ce titre s’intéresser à l’évolution du vocabulaire de l’espace dans les actes et se demander si, en la matière, les sources diplomatiques présentent des spécificités vis-à-vis d’autres types de sources médiévales. À la suite d’autres chercheur·ses, les participant·es pourront enfin se demander si certaines évolutions diplomatiques ou documentaires ne traduisent pas des évolutions de la dimension spatiale du dominium et, plus largement, de la perception et de la représentation de l’espace au Moyen Âge[14].

            3. Les actes analysés comme des espaces

              a) Les chartes médiévales sont dotées d’un certain nombre de symboles graphiques, participant à leur validation : chrismes, croix de souscriptions, monogrammes, rota, légendes chirographaires, seings manuels, etc. Ceux-ci ont attiré l’attention des chercheur·ses[15]. La peau de parchemin sur laquelle la charte est rédigée peut alors être considérée comme le lieu où ces signes sont représentés : leur taille, leur forme et l’évolution de celles-ci, mais surtout leur emplacement sur la peau de parchemin peuvent fait l’objet d’analyses et de comparaisons.

              b) Lors de la réalisation de pseudo-originaux ou de cartulaires, les signes graphiques que portent les originaux peuvent être reproduits ou imités. Or, la manière dont ils le sont, avec plus ou moins de soin, avec modification ou non, ainsi que leur emplacement sur le pseudo-original ou dans le cartulaire peuvent révéler certaines des intentions des faussaires et des cartularistes[16]. Il faut aussi se poser la question des compétences nécessaires à ces copistes pour imiter des symboles graphiques plus ou moins complexes.

              c) Les participant·es seront enfin invité·es à réfléchir à des représentations et modélisations graphiques de l’espace des chartes et des cartulaires. Ils pourront ainsi s’inspirer de la chorématique, mise en place par des géographes afin d’arriver à des modélisations spatiales[17], pour réfléchir à une méthode comparable qui permettrait de modéliser l’espace des sources diplomatiques et ainsi faire émerger de nouvelles typologies documentaires par l’examen de la disposition entre le texte, dont il ne faudra pas négliger la mise en forme (premières lignes en capitales ou non, éventuelles listes des témoins disposées en colonne ou en ligne, le traitement de certaines majuscules…), et les symboles graphiques ci-avant évoqués.

              Modalités de soumission

              L’appel s’adresse en priorité aux jeunes chercheur·ses consacrant leurs travaux à la diplomatique et aux pratiques de l’écrit de l’Europe médiévale. Les communications, d’une durée maximale de vingt-cinq minutes, seront suivies d’un temps de discussion. Les propositions de communication pourront être rédigées en allemand, anglais, français et italien. Elles feront entre 3 000 et 4 000 caractères (espaces compris) et devront préciser dans quel(s) axe(s) du présent appel elles s’inscrivent. Elles seront accompagnées d’une courte biographie indiquant affiliations et dernières publications (10-15 lignes), suivie des coordonnées des chercheur·ses. Ces documents devront être envoyés avant le 12 avril 2024 à l’adresse suivante : contact.diplo21@gmail.com.

              Comité d’organisation

              Hannes Engl (Aachen), Thomas Lacomme (Université de Namur, FNRS), Émilie Mineo (Université du Luxembourg), Robin Moens (RWTH Aachen University, Université de Namur), Nicolas Ruffini-Ronzani (Université de Namur, Archives de l'État) et Timothy Salemme (Université du Luxembourg), pour le réseau Diplo 21 : https://diplo21.hypotheses.org/.

              À propos du colloque

              Le colloque aura lieu les 10 et 11 octobre 2024, à l’Université de Namur. Langues acceptées pour les communications : allemand, anglais, français et italien. Prise en charge probable des frais de transport et d’hébergement des participants.

              Appel au format PDF : ici

              [1] La bibliographie étant considérable sur ce sujet, nous nous contenterons de renvoyer à Martin Gravel, « Déplacements et immobilités des souverains carolingiens. De l’Empire au royaume de Francie occidentale », dans Le gouvernement et le déplacement. Pouvoir et mobilité de l’Antiquité à nos jours, dir. Sylvain Destephen, Josiane Barbier et François Chausson, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 213-234, ainsi qu’à L’itinérance de la cour en France et en Europe : Moyen Âge-XIXe siècle, dir. Boris Bove, Alain Salamagne, Caroline Zum Kolk, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021.

              [2] Chantal Senséby, « La “date de lieu” et ses variations du xe au xiie siècle en Anjou et en Touraine », dans La formule au Moyen Âge [III], éd. Olivier Simonin et Caroline de Barrau, Turnhout, Brepols, 2021, p. 149-170.

              [3] Jean Dufour, « État et comparaison des actes faux ou falsifiés intitulés au nom des Carolingiens français (840-987) », Fälschungen im Mittelalter, IVe partie : Diplomatische Fälschungen (II), Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1988, p. 167-210, à la p. 169.

              [4] Thomas Lacomme, « Actum Pruvini. Les chartes provinoises d’Henri le Libéral : présence du comte à Provins et origine des bénéficiaires », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Provins, no 174, 2020, p. 5-23.

              [5] Isabelle Bretthauer, « Le marché de l’acte au Moyen Âge : tarifs, prix, concurrence », Genèses, no 105, 2016/4, p. 8-35.

              [6] Mireille Mousnier, « Mesurer les terres au Moyen Âge. Le cas de la France méridionale », Histoire & Sociétés rurales, t. 22, 2004/2, p. 29-63.

              [7] Hadrien Penet, « Le sens des limites. Construction et perception de l’espace dans les actes de la pratique : l’exemple sicilien (xiie-xve siècles) », dans Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations, dir. Thomas Lienhard, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 405-411.

              [8] Élisabeth Carpentier, « Le traitement informatisé des plus anciens catasti : le problème des confronts », dans Les cadastres anciens des villes et leur traitement par l’informatique, Actes de la table ronde organisée par le Centre d’histoire urbaine de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, éd. Jean-Louis Biget, Jean-Claude Hervé, Yvon Thébert, Rome, École française de Rome, 1989, p. 255-268.

              [9] Armand Frémont, La Région, espace vécu, Paris, PUF, 1976.

              [10] Chantal Senséby, « Espace rêvé, espace convoité. Le témoignage des cartulaires monastiques », dans Territoires rêvés [2]. Du territoire rêvé au rêve de territoire : stratégies et processus d'appropriation ou de domination, Orléans, PU, 2006, p. 37-45.

              [11] Paul Bertrand, Xavier Hélary, « Constructions de l’espace dans les cartulaires », dans Construction de l’espace au Moyen Âge…, p. 193-207.

              [12] Les notions de « territoire » et « territorialisation » sont très utilisées en histoire médiévale depuis plusieurs années ; nous renverrons ici uniquement à Florian Mazel, L’évêque et le territoire. L'invention médiévale de l'espace (ve-xiiie siècle), Paris, Seuil, 2016.

              [13] Nicolas Perreaux, « Des structures inconciliables ? Cartographie comparée des chartes et des édifices « romans » (xe -xiiie siècles) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, hors-série no 9, 2016, en ligne.

              [14] Pierre Chastang, Lire, écrire, transcrire : le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc, xie-xiiie siècles, Paris, Éditions du CTHS, 2001 ; Id., « Du locus au territorium. Quelques remarques sur l’évolution des catégories en usage dans le classement des cartulaires méridionaux au xiie siècle », Annales du Midi, t. 119, 2007, p. 457-474.

              [15] Peter Rück, Graphische Symbole in mittelalterlichen Urkunden. Beiträge zur diplomatischen Semiotik, Sigmaringen, J. Thorbecke, 1996.

              [16] Jean-Baptiste Renault (éd.), Originaux et cartulaires dans la Lorraine médiévale (xiie-xvie siècles), Turnhout, Brepols, 2017.

              [17] La chorématique est la science des chorèmes, « structure[s] élémentaire[s] de l'espace géographique » et elle correspond donc à une sorte de grammaire de l’espace (Roger Brunet, « La composition des modèles dans l'analyse spatiale », L'Espace géographique, t. 9, n° 4, 1980, p. 253-265). La chronochorématique est une version de la chorématique qui prend en compte la dimension temporelle des phénomènes modélisés spatialement (Hervé Théry, « Chronochorèmes et paléochorèmes : la dimension temporelle dans la modélisation graphique » dans Modèles graphiques et représentations spatiales, dir. Yves André, Antoine Bailly, Maryse Clary, Robert Ferras et Jean-Paul Guérin, Paris, Anthropos/Reclus, 1990, p. 41-61). À propos des apports de la chorématique pour la médiévistique, voir Mireille Mousnier, « Quand la carte interroge le territoire », dans Les Territoires du médiéviste, dir. Benoît Cursente et Mireille Mousnier, Rennes, PUR, 2005, p. 417-438 ;Bruno Varennes, « Cartographier la territorialisation ecclésiale au Moyen Âge », Siècles, n° 52, 2022, en ligne. URL : http://journals.openedition.org/siecles/9435 ; DOI : https://doi.org/10.4000/siecles.9435.