Vivre et mourir en Gaume à l’âge du Fer.

Recherches sur le paysage protohistorique de la région de Tintigny-Bellefontaine, autour de la nécropole hallstattienne des Grands Bois de Saint-Vincent

L'exceptionnel patrimoine protohistorique de la région de Saint-Vincent et Bellefontaine, sur le territoire de la commune gaumaise de Tintigny, suscite la curiosité des chercheurs depuis près de 175 ans. Les tombelles des Grands Bois de Saint-Vincent, initialement mentionnées en 1850 par un magistrat natif de Rossignol, ont été redécouvertes en 1882 et explorées au début du XXe siècle par le « Service des fouilles de l’État » (fig. 1). Datées autour du premier âge du Fer, de 800 à 400 avant J.-C. environ, elles s’inscrivent au sein d'une microrégion comprenant de nombreux autres sites protohistoriques : trois nécropoles et deux ou trois fortifications réparties sur quelques kilomètres carrés dans le massif forestier du sud de la commune de Tintigny, ainsi qu’un habitat et une autre nécropole dans la partie nord du territoire communal.

Cette rarissime concentration de lieux de vie, fortifications et cimetières, offre une opportunité unique d'étudier les multiples aspects de l'occupation ancienne d'un territoire. Malheureusement, à l'exception d'une campagne de fouilles menée en 1979 sur l’une des fortifications, les explorations archéologiques dans la commune de Tintigny n'ont pas suivi les méthodes de recherche modernes, limitant les avancées scientifiques, et la plupart des sites restent inexplorés.

Face aux dégradations récentes des structures archéologiques visibles dues au pillage, aux engins forestiers et à des véhicules tout-terrain, un projet de recherche, de conservation et de valorisation subventionné par l’Agence Wallonne du Patrimoine a été lancé par l’Université de Namur et le Musée des Celtes, en partenariat avec la Commune de Tintigny. Le projet vise à documenter scientifiquement les sites et leurs relations, à prévenir les dégradations, à conserver le site et à partager les résultats avec le public.

Le projet a débuté juillet 2023 par une opération de terrain sur la nécropole des Aisances de Bellefontaine, qui, malgré son état exceptionnel de conservation et les dimensions peu communes de ses tertres funéraires, restait pratiquement inconnue des archéologues (fig. 2). Cette première campagne de fouilles a été menée avec la participation d'étudiants en Histoire de l'Art et Archéologie de l'UNamur, l'équipe du Musée des Celtes et des fouilleurs bénévoles.

Des actions de conservation, prévention et valorisation ont par ailleurs été entreprises pour veiller à la pérennité de ce patrimoine unique.

Fouilles 2023 sur une tombe de la nécropole des Aisances

La zone d'occupation protohistorique de Bellefontaine est située sur le flanc sud de la cuesta lorraine sinémurienne, caractérisée par un plateau sableux traversé par plusieurs cours d'eau, tous faisant partie du bassin hydrographique de la Chiers. Ce plateau présente un contraste entre un paysage ouvert au nord, avec des sols propres à l’agriculture, et un paysage au sud caractérisé par des sols pauvres, des reliefs fortement incisés avec une couverture forestière importante.

Le site exploré est situé au lieu-dit "Les Aisances de Bellefontaine", sur un relief vallonné au sommet duquel de nombreuses tombelles sont encore visibles aujourd’hui. En Ardenne et Gaume médiévales, le terme "aisances" ou "aisemences" faisait référence à un droit d'usage accordé par un seigneur à une communauté. Ce droit concernait généralement des terres boisées ou des bruyères, autorisant diverses activités telles que le pâturage du bétail, la collecte de bois pour le chauffage ou la construction. L'aire funéraire avait fait l’objet d'un inventaire exhaustif, cartographiant plus de 43 tertres sur le promontoire, et quatre tertres à proximité immédiate. Les dimensions des tertres varient de 5 à 26 mètres de diamètre, avec une hauteur conservée variant entre quelques centimètres à peine et près de deux mètres. L'organisation spatiale des tertres ne révèle pas de schéma particulier, à l'exception d'un regroupement possible en arc de cercle dans la partie sud-ouest.

L'opération de terrain s’est concentrée sur les tombelles 22 et 30, cette dernière étant encore en cours de fouille. Située au cœur de l'aire funéraire, la T.22 a été sélectionnée pour son excellent état de conservation, sa position centrale, et ses dimensions considérables (15 m de diamètre et 1,25 m de hauteur conservée) (fig. 3). Les fouilles ont permis de déterminer que la tombelle avait été élevée à l’aide de sable prélevé sur une surface concentrique d’environ 30 m de diamètre. Sous le tertre, un horizon noir et rougeâtre, probablement l’emplacement du bucher funéraire ou s’est déroulée l’incinération du défunt, a été découvert, parsemé de fragments de charbon de bois et de petits fragments d’os brûlé (fig. 4). On peut supposer qu’un dépôt funéraire avait été déposé en son centre, composé d’objets accompagnant les restes humains crématisés. Cependant, une fosse ancienne a été identifiée au centre de la tombe, permettant de supposer que la plupart des objets ont été prélevés par des pilleurs (fig. 5). Ces derniers, qui s’intéressaient vraisemblablement aux objets complets, avaient tout de même laissé sur place quelques fragments de céramique et les restes humains, qui sont mis à profit pour l’étude archéologique. Les sondages visant à révéler d'éventuelles traces de monument ou d’enclos funéraire n'ont pas produit de résultats concluants.

Le mobilier mis au jour lors de ces recherches est en cours d’étude et de datation C14, pour préciser la datation trop large situant à ce stade la tombelle 22 au cours de l’âge du Fer, entre 800 et 300 ans avant J.-C. environ. Le site ne semble plus avoir occupé depuis la Protohistoire, et apparaît ne jamais avoir fait l’objet d’une exploitation agricole. Les seuls épisodes récents documentés par la fouille sont liés à la fin de la seconde guerre mondiale : une série d’éclats d’obus allemands de calibre 88 ont été mis au jour (des stocks de munitions auraient été détruits à environ 500 m du site, à l’issue du conflit).

Préservation et la valorisation d’un patrimoine exceptionnel méconnu

L’équipe du projet a par ailleurs entrepris, avec le soutien de l’AWaP, des actions visant à assurer la préservation du patrimoine archéologique de Tintigny, tout en impliquant les partenaires et la communauté locale dans la sensibilisation et la protection de ces sites importants.

Des mesures ont été prises pour prévenir la détérioration des sites archéologiques par engins forestiers, en collaboration avec le Département de la Nature et des Forêts du Service Public de Wallonie. Les zones sensibles font désormais l’objet d’une surveillance accrue et d’une gestion adaptée des opérations de coupe et débardage.

Pour répondre à un acte de pillage identifié en 2021 et valoriser ce patrimoine collectif auprès des citoyens locaux et régionaux, des actions de sensibilisation ont été entreprises à travers l’ouverture du chantier au public. Des activités, telles que des après-midis "chantier ouvert" et de nombreuses visites guidées, ont été organisées en juillet 2023, attirant environ 220 visiteurs qui ont découvert, souvent avec étonnement, la richesse archéologique du terroir tintignolais et les méthodes employées pour leur étude (fig. 6). Enfin, un projet en partenariat avec le Musée Gaumais a pour objectif de créer dans les années à venir une "promenade archéologique" guidée ou libre, ainsi que des supports didactiques, sur un itinéraire mettant en valeur les principaux sites archéologiques dans leur environnement naturel.

 

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Fig. 1 : Fouilles du début du vingtième siècle sur la nécropole des Grands Bois de Saint-Vincent (CC-BY KIK-IRPA, Bruxelles, cliché b004105).

Fig. 2 : Nécropole des Aisances de Bellefontaine, dont les tombelles 22 et 30 explorées en 2023 (©UNamur-AWaP).

Fig. 3 : Tombelle 22 de la nécropole des Aisances, en cours de fouille et vue du ciel (©UNamur-AWaP).

Fig. 4 : L’emplacement du bûcher funéraire en cours de dégagement par les étudiants de l’UNamur (©UNamur-AWaP).

Fig. 5 : La fosse de pillage contenant encore quelques fragments de céramiques et restes osseux humains (©UNamur-AWaP).

Fig. 6 : Visite de chantier lors des après-midi « chantier ouvert » (©UNamur-AWaP).